Augmentation de capital par compensation de créances sur la société : éviter la CACastrophe

Dans les entreprises, le capital social sert une double fonction : la répartition des pouvoirs entre les associés et le signe de l’engagement de la société envers ces derniers. En d’autres termes, c’est un signe de la confiance portée par ses investisseurs à son égard.

En tant que donnée comptable et financière, essentielle au droit des sociétés, le capital social de toute société se doit de respecter le principe de réalité et de sincérité. L’objectif poursuivi est, tel qu’indiqué dans le plan comptable général « de traduire la connaissance que les responsables de l'établissement des comptes ont de la réalité et de l'importance relative des événements enregistrés ».

Pour les start-ups en développement, le financement d’un capital social à la hauteur de leur ambition constitue un enjeu majeur. Certaines ont ainsi pu trouver opportun d’associer leurs premiers fournisseurs et conseillers financiers à leur entreprise.

La société poursuit alors plusieurs objectifs : développer son activité et augmenter ses fonds propres en réglant ses partenaires par l’émission de titres de capital en lieu et place de rechercher de la trésorerie pour les payer. Le mécanisme juridique particulièrement utile à un tel projet est la compensation de créances, devenue particulièrement tendance dans les augmentations de capital d’entreprises « sans-le-sou ».

Dans la pratique, deux méthodes se font concurrence : la compensation de créances d’un fournisseur de l’entreprise pour convertir une dette en capital social, ou la compensation de la créance pour convertir la dette en bon de souscription d’actions (dit BSA, qui peuvent même prendre la forme de « BSA Air » quand il s’agit d’être vraiment très à la mode).

Dans un cas comme dans l’autre, le recours à un CAC ou un notaire parait impératif malgré la confusion entretenue par certains auteurs (I), lesquels manquent de souligner le risque encouru en l’absence de certification de la réalité de l’opération (II).

I.                 De la confusion des CAC et de l’obligation de faire certifier l’opération d’augmentation de capital par compensation de créances

Bien que très tendance, l’idée de recourir à la compensation de créances pour apporter des sommes en contrepartie de titres de capital n’est pourtant pas nouvelle dans notre ordre juridique.

La loi 66-537 1966-07-24 JORF du 26 juillet 1966 prévoyait déjà l’obligation de faire certifier une telle opération, bien avant sa codification au sein du code de commerce. À l’époque, le mécanisme d’augmentation de capital par compensation de créances exigeait un certificat notarié garantissant la réalité et la sincérité de l’opération.

En matière d’augmentation de capital par compensation de créances, le droit en vigueur exige le recours alternatif à un notaire ou à un commissaire aux comptes, dit « CAC », à l’article L225-146 du code de commerce, applicable aux SAS :

« Les libérations d'actions par compensation de créances liquides et exigibles sur la société sont constatées par un certificat du notaire ou du commissaire aux comptes de la société, ou, s'il n'en a pas été désigné, d'un commissaire aux comptes désigné à cet effet selon les modalités prévues aux articles L. 225-228 et L. 22-10-66. Ce certificat tient lieu de certificat du dépositaire ».

L’article R225-134 du code de commerce ajoute « en cas de libération d'actions par compensation de créances sur la société, ces créances font l'objet d'un arrêté de compte établi par le conseil d'administration ou le directoire et certifié exact par le commissaire aux comptes ».

Les articles L225-146, R225-134 et L227-9-1 visent-ils le même CAC ?

Le CAC de l’article L225-146 n’est toutefois pas à confondre avec l’obligation plus générale de désignation d’un CAC, pour certaines sociétés commerciales, chargé de certifier la sincérité des comptes annuels (article L227-9-1). Celui-ci relève d’un régime spécifique dont la portée se limite à des sociétés qui dépassent certains seuils (notamment le total de leur bilan, montant du chiffre d’affaires hors taxe et le nombre moyen de salariés au cours de l’exercice).

Certains ont pu lire l’article L225-146 comme faisant référence au CAC habituellement désigné dans les sociétés commerciales dans le cadre de leur mission de l’article L227-9-1 susmentionné. Cependant, une telle lecture aboutit à la conclusion erronée que les entreprises n’ayant pas l’obligation de désignation d’un CAC pour certifier leurs comptes annuels, n’ont pas l’obligation de recourir à un CAC lorsqu’elles augmentent leur capital par compensation de créances. Cela permettrait, notamment, d’éviter le recours obligatoire à un CAC dans le cadre d’un apport en nature de créances (mécanisme semblable comptablement, mais distinct juridiquement).

Pour l’auteur du présent, ce raisonnement semble comporter de nombreuses faiblesses, dont notamment :

-          L’impasse qui est faite sur le recours à un notaire : certes une SAS peut ne pas avoir de CAC car elle ne remplit pas les seuils susmentionnés, mais en quoi cela exonérerait la SAS de recourir au notaire mentionné à l’article L225-146 ? (Il n’existe pas de seuils dont le dépassement emporterait l’obligation de désigner un notaire) ;

-          L’article L225-146 ne fait aucunement mention expresse de l’article L227-9-1, et réciproquement, de sorte que la lecture combinée des deux articles tient plus du biais cognitif que d’une réflexion rationnelle ;

-          L’article L225-146 emploie des termes qui ne suggèrent pas un droit d’option pour les SAS : « les libérations d’actions par compensation de créances […] sont constatées par un certificat du notaire ou du commissaire aux comptes de la société » ;

-          L’article L225-146 précise que si la société n’a pas de CAC d’ores et déjà désigné, alors un CAC peut être désigné spécialement pour le constat requis (couramment appelé un CAC ad hoc).

Ainsi, il parait tout à fait clair que les CAC auxquels il est fait référence aux articles L225-146 et L227-9-1 sont distincts et autonomes : l’un dispose d’une mission générale de certification des comptes annuels, l’autre dispose d’une mission ad hoc de certification de réalité et sincérité de la compensation de créances au moment de la souscription des actions nouvelles.

Le dépassement ou non des seuils de l’article L227-9-1 n’est donc pas pertinent pour décider si une société par actions doit recourir à un CAC ou un notaire pour émettre un certificat du dépositaire. En revanche, les termes de l’article R225-134 laissent planer le doute quant à la nécessite de faire intervenir un CAC pour certifier un arrêté de compte des créances.

En effet, n’étant pas fait référence à un notaire, le lien avec l’article L225-146 parait moins évident, ce qui conduit à penser qu’un arrêté de compte des créances certifié par un CAC ou un notaire n’est pas obligatoire pour les sociétés par actions ne dépassant pas les seuils de l’article L227-9-1.

En réalité, les questions véritablement pertinentes pour trancher le débat sont plutôt de connaître les sanctions applicables, les risques, ainsi que la possibilité de renoncer statutairement ou par décision collective au recours à un CAC, ou un notaire.

II.               Des sanctions en l’absence de certificat émis par un CAC ou un notaire, et de l’inopportunité de renoncer au droit audit certificat

Quelles sont les sanctions en l’absence de certificat émis par un CAC ou un notaire ?

L’article L225-150 du code de commerce prévoit la suspension des « droits de vote et les droits à dividende des actions ou coupures d'actions […] jusqu'à régularisation de la situation. Tout vote émis ou tout versement de dividende effectué pendant la suspension est nul ». Cette sanction s’applique également en cas de violation de l’article R225-134, dont la portée peut être débattue.

Par ailleurs, en application de l’article L225-149-3 du même code, tout intéressé peut demander au président du tribunal de commerce statuant en référé d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société concernée de communiquer le certificat constatant la matérialité de la libération d’actions par compensation avec une créance liquide et exigible.

Le sens de « tout intéressé » de l’article L225-149-3 doit être compris dans un sens littéral : n’importe qui peut agir devant le président du tribunal de commerce contre le représentant légal de la société.

En outre, certains pourraient arguer que le certificat du dépositaire requis constitue le titre qui emporte création des actions. Ainsi, sans ce certificat, les actions émises sont susceptibles d’être privées d’existence juridique par une décision de justice. Cette interprétation, bien que non éprouvée devant une juridiction, fait peser des risques sérieux de coût judiciaire important et d’instabilité dans la gouvernance de l’entreprise.

Dès lors que le capital social n’est pas entièrement libéré, toute augmentation de capital en numéraire ultérieure est interdite, sous peine d’amende, et l’entreprise pourrait être privée de certains dispositifs fiscaux avantageux.

Face à de tels risques, il parait bien illusoire de penser qu’une renonciation de la part des associés au certificat du CAC ou du notaire ad hoc permettrait de limiter les risques de contestation, surtout dans le cas où le droit d’agir appartient à « tout intéressé ».

Ainsi, bien que le mécanisme d’augmentation de capital par compensation de créances soit ingénieux, celui-ci comporte des risques financier, comptable, fiscal et de gouvernance non négligeables, en particulier pour les start-ups.

 

Faut-il renoncer au certificat du dépositaire émis par un CAC ou un notaire, et à toute action judiciaire fondée sur son absence ?

 

Dans le cadre de futures levées de fond, des investisseurs potentiels pourraient s’interroger sur la sincérité du montant du capital social, dès lors que celui-ci reflète, en partie, le fruit d’une prestation d’un fournisseur ou sous-traitant de l’entreprise. La valorisation de cette prestation devra alors être justifiée et conforme aux standards du marché. À défaut, quel crédit apporter au montant des capitaux affichés par l’entreprise ? Peut-être faut-il, par prudence pour les start-ups n’ayant pas l’obligation de faire certifier leurs comptes annuels par un CAC et en sus d’éléments justifiant la valorisation de la prestation, désigner un CAC ou un notaire ad hoc pour certifier l’arrêté des comptes ? Cela permettrait de limiter le risque de contestation et renforcer la crédibilité de l’opération.

En tout état de cause, il semble hautement judicieux et opportun de ne pas passer outre l’obligation de désignation d’un CAC ou d’un notaire en matière d’augmentation de capital par compensation de créances.

Aussi, les plus prudents feront bien de sécuriser leur opération vis-à-vis de l’enjeu de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), loin d’être neutre en cas de régularisation.

Aussi, peut-être convient-il mieux, pour éviter la CACastrophe, de recourir à des mécanismes de financement du capital moins tendance, et plus sécurisant. Ils existent.

Pour toute question liée à une augmentation de capital par compensation de créances, apport en nature, ou en numéraire, notre équipe se tient à votre disposition pour vous apporter une solution complète et adaptée à vos besoins.

Notre cabinet, expert en droit des sociétés, vous accompagne dans la rédaction sur mesure de vos documents sociétaires.

Nous vous invitons également à consulter notre article dédié aux bons de souscription d’action et aux bons de souscription de parts de créateur d’entreprise, pour mieux comprendre les enjeux de l’émission de tels bons lors d’une augmentation de capital.

 

Méthodologie

Cet article a été rédigé par un humain, avocat inscrit au barreau de Paris, et se fonde sur une recherche juridique et documentaire des textes suivants :

Le code de commerce,

Le plan comptable général,

La loi 66-537 1966-07-24 JORF du 26 juillet 1966,

L’avis rendu par le Congrès des notaires de France sur son site internet,

L’avis rendu par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes « ACTIONS DE PREFERENCE – AUGMENTATION DE CAPITAL PAR COMPENSATION DE CREANCES – CAC – Emission et conversion d’actions de préférence – Augmentation de capital libérée par compensation de créances – Certification de l’arrêté de compte – Obligation de désignation d’un commissaire aux comptes ad hoc lorsque la société n’est pas dotée d’un CAC (non) » – EJ 2022-78,

L’avis rendu par l’Association nationale des sociétés par actions, Communication Ansa, comité juridique n° 17-051 du 8-11-2017.

Suivant
Suivant

Comment calculer l’indemnité d’éviction d’un bail commercial : méthodes et critères essentiels